Eh bien ! l’ensemble de ces merveilles, nous allons le rencontrer dans un hôtel incomparable, — l’hôtel du Earth Herald, récemment inauguré dans la 16823e avenue.
Si le fondateur du New York Herald, Gordon Benett, renaissait aujourd’hui, que dirait-il, en voyant ce palais de marbre et d’or, qui appartient à son illustre petit-fils, Francis Benett ? Trente générations se sont succédé, et le New York Herald s’est maintenu dans cette famille des Benett. Il y a deux cents ans, lorsque le gouvernement de l’Union fut transféré de Washington à Centropolis, le journal suivit le gouvernement, — à moins que ce ne soit le gouvernement qui ait suivi le journal, — et il prit pour titre : Earth Herald.
Et que l’on ne s’imagine pas qu’il ait périclité sous l’administration de Francis Benett. Non ! Son nouveau directeur allait au contraire lui inculquer une puissance et une vitalité sans égales, en inaugurant le journalisme téléphonique.
On connaît ce système, rendu pratique par l’incroyable diffusion du téléphone. Chaque matin, au lieu d’être imprimé comme dans les temps antiques, le Earth Herald est “parlé”. C’est dans une rapide conversation avec un reporter, un homme politique ou un savant, que les abonnés apprennent ce qui peut les intéresser. Quant aux acheteurs au numéro, on le sait, pour quelques cents, ils prennent connaissance de l’exemplaire du jour dans d’innombrables cabinets phonographiques.
Cette innovation de Francis Benett galvanisa le vieux journal. En quelques mois, sa clientèle se chiffra par quatre-vingt-cinq millions d’abonnés, et la fortune du directeur s’éleva progressivement à trente milliards, de beaucoup dépassés aujourd’hui. Grâce à cette fortune, Francis Benett a pu bâtir son nouvel hôtel, — colossale construction à quatre façades, mesurant chacune trois kilomètres, et dont le toit s’abrite sous le glorieux pavillon soixante-quinze fois étoilé de la Confédération.
A cette heure, Francis Benett, roi des journalistes, serait le roi des deux Amériques, si les Américains pouvaient jamais accepter un souverain quelconque. Vous en doutez ? Mais les plénipotentiaires de toutes les nations et nos ministres eux-mêmes se pressent à sa porte, mendiant ses conseils, quêtant son approbation, implorant l’appui de son tout-puissant organe. Comptez les savants qu’il encourage, les artistes qu’il entretient, les inventeurs qu’il subventionne ! Royauté fatigante que la sienne, travail sans repos, et, bien certainement, un homme d’autrefois n’aurait pu résister à un tel labeur quotidien. Très heureusement, les hommes d’aujourd’hui sont de constitution plus robuste, grâce aux progrès de l’hygiène et de la gymnastique, qui de trente-sept ans ont fait monter à soixante-huit la moyenne de la vie humaine, — grâce aussi à la préparation des aliments aseptiques, en attendant la prochaine découverte de l’air nutritif, qui permettra de se nourrir… rien qu’en respirant.
Et maintenant, s’il vous plaît de connaître tout ce que comporte la journée d’un directeur du Earth Herald, prenez la peine de le suivre dans ses multiples occupations, — aujourd’hui même, ce 25 juillet de la présente année 2889.